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Bénédicte Stengel : développer l’épidémiologie des maladies du rein

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 21 octobre 2022 , mis à jour le 27 octobre 2022

Bénédicte Stengel est chercheuse au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ) et directrice-adjointe Recherche de la Graduate School Santé publique de l’Université Paris-Saclay. Coordinatrice de la cohorte CKD-REIN lancée en 2011, elle a largement contribué au développement de l’épidémiologie rénale en France. 

Devenir médecin généraliste : tel était l’objectif de Bénédicte Stengel, dont la vocation a semble-t-il toujours été évidente. Un objectif atteint en 1982 lorsqu’après des études de médecine elle décroche son doctorat et commence à exercer la médecine générale en banlieue parisienne et au Comité médical pour les exilés au Kremlin-Bicêtre. « Au bout de quelques années d’exercice, même si j’aimais ce métier, notamment pour sa dimension humaine, j’ai pris conscience que la dimension scientifique me manquait terriblement. J’ai donc commencé à m’intéresser aux formations à la recherche en santé publique en me tournant vers un DEA (diplôme d’études approfondies) en statistiques et santé », explique la chercheuse.

Suite à ce virage, elle rejoint l’Inserm comme chargée de recherche en 1989 et commence à s’intéresser aux effets de l’environnement sur le rein. Elle consacre alors une thèse aux expositions aux toxiques de l’environnement et à la survenue de néphropathies glomérulaires. « C’est à l’occasion de cette thèse que je me suis intéressée à l’épidémiologie des maladies rénales. Je me suis rendu compte que ce domaine constituait un champ de recherche quasi vierge où tout était à construire. Aucune étude ni aucun registre fiable n’existait et il n’y avait ni équipe, ni expertise dans ce domaine en France. » Un constat qui, loin de la freiner, devient le moteur du reste de sa carrière qu’elle consacre à développer plusieurs outils de recherche qui contribueront largement au rayonnement de la France dans la recherche en épidémiologie rénale.

 

La création du registre REIN

C’est suite à une demande de la direction générale de la Santé que Bénédicte Stengel réalise, en 1997, une étude de faisabilité concernant le recueil d’informations sur la prise en charge de la défaillance rénale. « Cette étude a été importante puisqu’elle a servi de base à la mise en œuvre, cinq ans plus tard, du registre national REIN (Réseau épidémiologie et information en néphrologie) des traitements de suppléance de la défaillance rénale, un système d’informations d’intérêt commun pour l’administration sanitaire, les cliniciens et cliniciennes, et les chercheurs et chercheuses. Coordonné par l’Agence de la biomédecine, il permet de connaître l’évolution des besoins en dialyse et greffe rénale de la population et d’évaluer le devenir des patientes et patients au cours du temps », précise la chercheuse. Un intervalle de cinq ans au cours duquel Bénédicte Stengel effectue une mobilité à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, au sein de l’équipe qui conçoit le modèle conceptuel pour la définition et le classement de la maladie rénale chronique (MRC). « J’ai eu la chance de voir naître, d’une certaine manière, le concept au fondement de l’épidémiologie rénale moderne. C’était très enthousiasmant, mais les données manquaient », se souvient la chercheuse.

Si la création du registre REIN constitue une étape importante, car elle met enfin à disposition une ressource fiable sur la prise en charge des traitements de suppléance de la défaillance rénale en France, il est impossible pour Bénédicte Stengel d’en rester là. « Le registre REIN a rapidement montré un accroissement continu de la défaillance rénale en France. Ce qui m’intéressait, c’était la question de la prévention de la maladie rénale, autrement dit toute la partie immergée de l’iceberg. Nous devions donc nous mettre en ordre de marche pour faire avancer la recherche dans ce domaine », poursuit-elle.

 

L’émergence d’un réseau de recherche autour de la MRC

Dès cette époque, elle travaille de plus en plus étroitement avec de nombreux néphrologues intéressés par ses résultats. Elle crée en 2007, grâce à un financement Inserm, un réseau de recherche sur la MRC qu’elle coordonne. L’année suivante, elle obtient un financement via l’appel à projets dédié aux très grandes infrastructures de recherche (TGIR) pour la cohorte NephroTest, menée en collaboration avec trois services d’exploration fonctionnelle rénale. « Les données de cette cohorte, constituée de 2 000 patientes et patients, nous ont notamment permis de contribuer à la création en 2009 du Chronic Kidney Disease Prognosis Consortium (CKD-PC). Celui-ci vise à évaluer le pronostic de la maladie rénale chronique dans le monde à partir de plus de 50 cohortes internationales », explique la chercheuse.

Grâce à cette première reconnaissance internationale, le réseau de recherche obtient en 2010 un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) pour financer la partie française de la cohorte internationale CKD Outcome and Pratice Survey (CKDopps), consacrée à l’étude du pronostic et des pratiques cliniques dans la maladie rénale chronique. « Partis de quasiment rien au début des années 2000, nous commencions, grâce à ce réseau de plus en plus structuré et actif, à être reconnus, y compris internationalement, dans ce domaine émergeant de l’épidémiologie de la maladie rénale chronique », indique Bénédicte Stengel.

 

Lancement de la cohorte CKD-REIN

Dès lors, il n’a rien d’étonnant à ce que le projet de cohorte Chronic Kidney Disease-Renal Epidemiology and Information Network (CKD-REIN) voie le jour dans le cadre du programme investissement d’avenir (PIA 1) en 2011. « C’est parce que nous étions prêts que nous sommes sortis lauréats de cet appel à projet, avons pu monter un partenariat public-privé impliquant treize partenaires académiques et onze partenaires industriels, et mettre en place très rapidement, avec l’appui de l’Agence de la biomédecine sur la partie système d’information, une cohorte que je coordonne depuis », précise Bénédicte Stengel.

Constituée d’un échantillon national représentatif de 40 consultations de néphrologie incluant plus de 3 000 patients et patients suivis pendant cinq ans, cette cohorte clinique répond à des questions clés sur les déterminants et les biomarqueurs de progression de la maladie rénale chronique et aide à identifier les pratiques cliniques associées à un meilleur pronostic de la maladie. « À l’occasion de cette nouvelle aventure, j’ai eu la chance de créer, en 2015, au sein du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP), ma propre équipe : Épidémiologie rénale et cardiovasculaire. L’équipe s’est agrandie en 2020 pour donner naissance à la nouvelle équipe Épidémiologie clinique, qui compte 80 personnes et se compose d’épidémiologistes, de biostatisticiennes et biostatisticiens, et de nombreux cliniciennes et cliniciens de diverses disciplines », ajoute la chercheuse.

 

De nombreuses responsabilités actuelles

Outre la coordination de la cohorte CKD-REIN qui, depuis sa création, a abouti à la publication de près de 50 articles, dont une quinzaine en collaboration avec CKDopps ou d’autres cohortes dans le monde, Bénédicte Stengel assure actuellement la fonction de directrice-adjointe Recherche de la Graduate School Santé publique de l’Université Paris-Saclay. « L’objectif de cette Graduate School, au travers de ses équipes affiliées, est de mener des recherches multidisciplinaires sur les grandes problématiques de santé mentale et physique en s’appuyant notamment sur les travaux des cinq cohortes financées par le PIA dont CKD-REIN ! Une manière de récolter aujourd’hui les fruits de l’important travail engagé depuis près de vingt ans », conclut Bénédicte Stengel qui, depuis 2021, est également présidente du réseau international de cohortes sur la maladie rénale chronique (iNETCKD).