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Bruno Falissard : les statistiques au service de la pédopsychiatrie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 09 novembre 2023 , mis à jour le 16 janvier 2024

Bruno Falissard est professeur de santé publique à l’Université Paris-Saclay et pédopsychiatre, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ) à Villejuif. Mathématicien et psychiatre de formation, membre de l’Académie nationale de médecine, il consacre actuellement ses travaux de recherche à l’épistémologie et à la méthodologie de recherche en médecine.

Se lancer en médecine lorsque l’on sort de L’École polytechnique : le choix peut surprendre. C’est pourtant celui que fait Bruno Falissard une fois diplômé de la prestigieuse école. « C’est en rencontrant des aspirants médecins pendant mon service militaire effectué en 1re année que l’idée de m’orienter vers la médecine a commencé à faire son chemin en moi. À ma sortie d’école, je n’ai donc pas hésité et me suis lancé dans ce nouveau cursus. » Oui mais… Les études de médecine sont longues et pour les financer, Bruno Falissard se lance, en parallèle de ses cours de médecine, dans une thèse en statistiques consacrée à l’analyse intermédiaire dans un essai thérapeutique et qui est financée. « Ce sujet m’a permis de lier mes deux passions et de mettre mon expertise en mathématiques au service de mon futur travail de médecin. » Au fil des stages, il choisit de s’orienter vers la psychiatrie, une spécialité au sein de laquelle il commence à faire l’expérience, pour lui décisive, de la relation médecin – malade. Il profite alors de son année d’internat pour effectuer un stage postdoctoral en psychométrie, au cours duquel c’est, cette fois-ci, à la psychiatrie qu’il applique la statistique.

Le choix de la pédopsychiatrie et le goût de l’enseignement

À l’issue de ce double parcours, c’est en pédopsychiatre que Bruno Falissard choisit de se sur-spécialiser, « une discipline authentiquement complexe qui à la fois m’impressionnait et en même temps m’attirait tant le contact avec les enfants me passionnait », précise-t-il. Il devient alors chef de clinique en pédopsychiatrie à l’hôpital Robert Debré et commence à enseigner cette discipline à l’hôpital Bichat. « J’avais alors 38 ans et étais encore en CDD ! En parallèle de mon activité clinique, j’ai donc postulé et été admis comme maître de conférences en biostatistiques à la Faculté de médecine de Paris-Sud (aujourd’hui Paris-Saclay) », explique Bruno Falissard.

Promu professeur agrégé en 1997, il devient professeur de médecine publique en 2002 dans la même Faculté. Aujourd’hui professeur de santé publique à l’Université Paris-Saclay et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ), il n’hésite pas à affirmer que l’enseignement est sa passion première. « Je retrouve dans l’enseignement ce qui m’a attiré en pédopsychiatrie, à savoir : la relation avec les jeunes, le contact par l’oral, la rencontre. C’est vraiment cela qui me motive au quotidien, que ce soit en tant que praticien ou en tant que professeur », confie-t-il. Un goût du débat et du partage dont témoigne sa chaîne Youtube de conférences sur la recherche biomédicale.

De la bio-statistique aux innovations méthodologiques

Alors qu’il venait de la recherche en mathématiques, Bruno Falissard se consacre donc progressivement, à mesure qu’il se spécialise, à des questions plus appliquées en lien avec son domaine d’expertise. Côté recherche, il entame un parcours qu’il qualifie lui-même « d’assez classique ». « Au début, nous étions une équipe de recherche universitaire de quinze personnes qui se consacrait à des questions d’innovation méthodologique en santé mentale. » L’occasion pour lui de se pencher par exemple sur la question de la santé mentale en prison ou de développer une mesure des résultats dans la schizophrénie. « Puis l’équipe a grossi jusqu’à atteindre quasiment 600 personnes depuis sa fusion avec le Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris-Saclay, Inserm, UVSQ), dont j’ai pris la direction », ajoute-t-il.

Un engagement décisif

C’est lorsqu’on lui confie en 2015 la présidence de l’Association internationale de psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et disciplines associées que s’opère le tournant le plus important de sa carrière. « Cette responsabilité m’a permis de faire le tour du monde, de constater la pauvreté des systèmes de santé en matière de pédopsychiatrie aux quatre coins du globe et d’ouvrir les yeux sur l’urgence de travailler autrement. Moi qui jusqu’alors consacrais la plus grande partie de mon temps aux statistiques et à la recherche clinique, j’ai compris qu’il me fallait prendre du recul sur ma pratique de recherche et travailler davantage à faire changer les comportements dans ma discipline qui souffre de ce que j’appellerais un déni de complexité. »

Ce déni de complexité, Bruno Falissard l’illustre avec l’exemple des neurosciences qui, si elles sont aujourd’hui de façon évidente à l’origine de progrès extraordinaires, ne suffisent pas à tout expliquer dans le contexte de la pédopsychiatrie. Et pour cause, la pédopsychiatre s’appuie sur les apports de disciplines aussi variées que la philosophie, la sociologie, la psychologie, l’épistémologie, etc., entre lesquelles existent de surcroit parfois des conflits de représentation sur ce qu’est un sujet humain. « Si l’on veut améliorer le soin des enfants, il nous faut accepter d’embrasser cette complexité. Or pour y parvenir, nous ne pourrons pas faire l’économie d’une approche multidisciplinaire croisant les perspectives, ni d’une réflexion sur la manière d’intégrer ces différents apports », ajoute Bruno Falissard.

Une autre manière de faire de la recherche

Après de longues années consacrées au management de la recherche en santé publique et épidémiologie, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Bruno Falissard s’oriente aujourd’hui en priorité vers l’épistémologie et la méthodologie de la recherche en médecine. « Il me semble en effet urgent d’avoir une réflexion de fond sur les enjeux éthiques de la recherche. » Par « éthique », Bruno Falissard précise qu’il entend le souci de se donner les moyens de faire la meilleure recherche médicale possible. « On ne peut pas pousser nos chercheurs et nos chercheuses à toujours plus de productivisme, plus de publications, plus de recherches, plus de financements. On doit se poser la question de l’optimisation de tous ces efforts, pour éviter de répéter à l’infini les mêmes recherches sur les mêmes sujets. Or pour ce faire, il me semble qu’il nous faut accepter de nous arrêter et de réfléchir. C’est d’ailleurs le conseil que je donne à mes équipes : agir moins et penser plus », conclut Bruno Falissard.

 

Bruno Falissard